Réaffirmation de la compatibilité entre indemnisation totale de la perte de gains professionnels futurs et de de l’incidence professionnelle.

Malgré les nombreuses décisions rendues par la Cour de Cassation à ce sujet, les assureurs persistent à contester l’indemnisation de l’incidence professionnelle en cas d’indemnisation totale de la perte de gains professionnels futurs.


L’intervention de la Cour de Cassation est donc apparemment encore nécessaire…

Pour comprendre la raison poussant la Cour de Cassation à toujours revenir sur cette question, il est intéressant de rappeler les jurisprudences habituellement opposées aux victimes par les compagnies d’assurance.

Les assureurs, font référence la plupart du temps à des arrêts de la 2e chambre civile de la Cour de Cassation des 27.04.2017 (n°16-13360), 04.10.2018 (n°17-24858) voir même du 7.03.2019 (n°17-25855).

Or, aucune de ces décisions n’exclue l’indemnisation au titre de l’incidence professionnelle au simple motif que la victime s’est vue allouer des pertes de gains professionnels futurs totales.

Dans ces arrêts, la Cour de Cassation rappelle seulement que l’incidence professionnelle pour la pénibilité et la dévalorisation sur le marché du travail est incompatible avec la perte de gains professionnels futurs totale.

Nous n’évoquerons même pas la décision du 7.03.2019, qui s’apparente à une errance de la Cour puisque celle-ci est rapidement revenue sur sa position (les caractéristiques morales et sociales de l’incidence professionnelle ont, un court temps, été considérée comme indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent).

Les assureurs semblent oublier la définition de l’incidence professionnelle telle que rappelée par la nomenclature Dintilhac à savoir :

« Cette incidence professionnelle à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à la nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap ».

Reprenant les contours de cette définition, la Cour de cassation a réaffirmé que l’incidence professionnelle est un poste de préjudice polymorphe qui comprend non seulement la perte des droits à la retraite mais aussi le préjudice de carrière et le préjudice lié à l’état d’inactivité (civ 2e 23.05.2019 pourvoi n°18-17560).

Cette jurisprudence, confirmée (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18779, Cass civ 2e 6.05.2021, n°19-23.173, 20-16.428), vient contredire les jurisprudences antérieures citées par les assureurs.

On reviendra notamment sur la décision du 6 mai 2021 qui rappelle que l’abandon de toute activité professionnelle est constitutive d’une incidence professionnelle :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si n’était pas caractérisée l’existence d’un préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »

C’est donc dans cette droite lignée que la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation s’est prononcée le 18 octobre 2022 (n°21-86346) confirmant la décision rendue par la Cour d’appel :

« En effet, le juge a, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, constaté l’existence d’un préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et du déficit professionnel permanent, découlant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle. »

Par conséquent, et contrairement à ce que les compagnies d’assurances continuent d’affirmer, l’indemnisation de la perte de gains professionnels à titre viager n’emporte pas le rejet de l’indemnisation de l’incidence professionnelle laquelle n’est pas limitée, dans sa définition, à l’indemnisation de la dévalorisation sur le marché du travail ou à la pénibilité.

Tant que les assureurs tenteront de revenir sur ce sujet, l’incidence professionnelle restera un combat à mener pour obtenir une réparation intégrale des préjudices des victimes.

Bien entendu, obtenir une telle indemnisation nécessite de correctement argumenter et documenter la question de l’incidence professionnelle, au cas par cas. C’est le rôle de l’avocat en réparation du dommage corporel, lequel sera le mieux à même de faire valoir les droits des victimes de dommage corporel et de contrer l’argumentation persistante des assureurs à ce sujet.