Lorsqu’une difficulté d’appréciation de la règle de droit applicable coûte à la victime son droit à indemnisation.

Dans cet arrêt du 23 novembre 2022 (pourvoi n°21-24103), la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation réoriente le débat et rappelle une règle de base en matière de responsabilité médicale.


Dans cette affaire, une complication lors d’une sleeve gastrectomie est survenue. Cette complication a permis la constitution d’une fistule digestive responsable d’une infection.

Après quelques errements dans le cadre des opérations d’expertise diligentées par la CCI, une seconde expertise a confirmé la nature nosocomiale de l’infection.

Sur ces constatations, la patiente a mis en cause l’ONIAM devant le Tribunal judiciaire : à titre principal sur le principe d’un accident médical non fautif du fait de la constitution de la fistule et, à titre subsidiaire sur le principe d’une infection nosocomiale, conséquence de l’accident médical, dont l’indemnisation devrait selon son appréciation, être mise à la charge de la solidarité nationale.

La Cour d’Appel a retenu que l’accident médical non fautif est la cause des préjudices et a débouté la victime de ses demandes au motif que le dommage en résultant ne remplit pas les conditions d’anormalité. Elle a également écarté le caractère nosocomial de l’infection considérant celle-ci comme secondaire à l’accident médical non fautif.

La patiente a formé un pourvoi en cassation sur cette décision en contestant l’analyse de la Cour d’Appel notamment en ce qu’elle n’a pas considéré l’infection comme nosocomiale (1er moyen).

La Cour de Cassation estimant que seul le premier moyen est susceptible de cassation, recentre le débat et rappelle « que l’infection causée par la survenue d’un accident médical présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge. »

Elle poursuit son raisonnement en rappelant que l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale incombe à l’établissement de santé sauf si, en l’absence de faute de celui-ci, les dommages ont entrainé un taux de DFP supérieur ou égal à 25% ou le décès.

Si l’une de ces conditions de gravité est remplie alors l’ONIAM est susceptible d’indemniser les préjudices en résultant.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce et c’est la raison pour laquelle la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de la demanderesse :

« Il en résulte que, même si l’infection survenue présentait un caractère nosocomial au sens des dispositions précitées, l’indemnisation des dommages consécutifs à cette infection, qui ne répondait pas aux critères de gravité de l’article L. 1142-1-1, alinéa 1er, et qui avait été contractée au sein d’un établissement de santé, soumis à une responsabilité de droit, ne pouvait être mise à la charge de l’ONIAM, de sorte que les demandes formées à son encontre devaient être rejetées.

Par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, à ceux écartant le caractère nosocomial de l’infection, justement critiqués par le moyen, la décision déférée se trouve légalement justifiée.« 

Quelle est la conséquence de cet arrêt en pratique pour la victime ?

Elle est privée d’indemnisation alors que l’établissement de santé aurait pu être condamné à indemniser les conséquences de l’infection nosocomiale (responsabilité sans faute de l’établissement de santé).

Encore eut-il fallu l’appeler en la cause ce qui n’était malheureusement pas le cas…. 

Quelle leçon en tirer pour le praticien du droit ?

En cas de possible superposition de fondements juridiques pour l’indemnisation d’un préjudice en responsabilité médicale, il faut prêter attention au principe de subsidiarité de l’indemnisation par l’ONIAM. 

Dans le cas présent, il n’était pas illogique de considérer que selon le principe de la causalité adéquate, le fait générateur initial emporterait toutes les conséquences en termes d’indemnisation. 

En effet, dans ce cas d’espèce, s’il n’y avait pas eu de fistule, il n’y aurait probablement pas eu d’infection et pas de préjudices.

L’accident médical non fautif ayant permis la constitution de la fistule aurait donc pu être considéré comme responsable de l’infection nosocomiale qui s’est développée et des préjudices qui en ont résulté.

Cependant, la Cour de Cassation en a décidé autrement, considérant que c’est l’infection qui est responsable des préjudices subis et non la fistule/accident médical. Est-ce une position juridiquement meilleure ? Peut-être pas mais elle évite de faire supporter la charge d’une indemnisation sur la solidarité nationale. L’indemnisation par l’ONIAM sera toujours subsidiaire.

Cet arrêt rappelle donc l’importance de la préparation en amont d’un dossier pour orienter correctement une affaire. En cas de difficulté de lecture ou d’incertitude quant à la partie sur laquelle la charge de l’indemnisation est susceptible de reposer, mieux vaut mettre ceinture et bretelles et appeler en la cause l’ensemble des acteurs susceptibles d’indemniser la victime. 

La responsabilité médicale reste une matière passionnante mais ardue.